DANONE IN TURMOIL

 In LSA

Ekapartners intervient pour le magazine LSA en tant qu’expert Consumer.

QUELS CHANTIERS DE RELANCE POUR DANONE APRÈS LE DÉPART D’EMMANUEL FABER ?

Une page se tourne pour Danone après l’éviction de son président, Emmanuel Faber, le 14 mars. Écarté pour son manque de performance financière, il laisse à ses successeurs la dure mission d’améliorer la compétitivité du groupe.

Le couperet est tombé dimanche 14 mars dans la soirée. Le PDG de Danone, Emmanuel Faber, s’est vu contraint par le conseil d’administration du groupe de quitter ses fonctions, après vingt-quatre ans de service au sein d’une entreprise dont il a pris les rênes en 2014. La pression s’était amplifiée au fil des mois, sous l’impulsion notamment des deux fonds activistes, l’américain Artisan Partners, troisième actionnaire du groupe avec 3 % du capital, et le britannique Bluebell Capital, qui réclamaient la tête du dirigeant. Le PDG avait également perdu le soutien de son mentor, Franck Riboud, ex-PDG du groupe et président d’honneur du conseil. La concession début mars d’Emmanuel Faber – abandonner sa casquette de directeur général pour ne conserver que celle de président – n’a pas suffi aux yeux des actionnaires. « Le départ d’Emmanuel Faber est un symbole. Il s’agit clairement d’une date importante pour le capitalisme français », estime un distributeur. La transition est assurée par Gilles Schnepp, 62 ans, ancien PDG du fabricant de matériel électrique Legrand, et par un duo composé de Véronique ­Penchienati-Bosetta, directrice générale International, qui assurera l’intérim comme directrice générale, et de Shane Grant, directeur général Amérique du Nord, nommé directeur général délégué. Le recrutement d’un ou d’une nouvelle DG a été confié à un cabinet international. Déjà, des profils se dessinent, comme un ex-Unilever ou une femme issue du secteur de la grande consommation.

Échecs stratégiques

Les raisons de ce limogeage sont en réalité nombreuses. Premier reproche, une performance trop faible. « Le cours de Bourse est le reflet de la compétitivité d’une entreprise. Celui de Danone est resté stable depuis cinq ans, à la différence d’Unilever, à +25 %, et de Nestlé, +45 %. Le décrochage est donc énorme », constate Éric Toulemonde, fondateur d’Ekapartners. Il faut noter aussi que les Nestlé et Unilever ont eu des activités dynamisées par la pandémie (comme l’épicerie et le DPH), à la différence de Danone qui a subi de plein fouet l’arrêt de la RHF, notamment pour les eaux.

Si les résultats n’ont pas été au rendez-vous sous l’ère Faber, malgré un redressement du pôle produits laitiers en Europe – dans le rouge depuis plusieurs années –, certains virages stratégiques pris au cours des dix dernières années ont aussi été des échecs. Ainsi, le programme Kiss de 2012, qui visait à revoir le design des pots de yaourts en forme incurvée. « Une innovation stérile qui a nécessité des allocations de capex sans impact global », indique Yves Marin, partner chez Bartle. En 2016, une refonte de la marque Activia, non comprise par les consommateurs, a aussi conduit à un rétropédalage. Tout comme le choix de ne plus mentionner ­Danone sur ses marques Taillefine, Activia ou Actimel. « Pourquoi abandonner cette caution si forte sur les packs ? », s’interroge Xavier Terlet, directeur général de ProtéinesXTC. Enfin, le rachat de l’américain WhiteWave, géant du bio et du végétal, pour plus de 10 milliards d’euros. « Cette acquisition a coûté très cher, pour finalement louper le virage du végétal. Ces erreurs ont dérivé les ressources », souligne Yves Marin. Autant de moyens qui n’ont pas été alloués à la R & D ni au marketing. « Il n’y a pas eu d’innovations phares les trois dernières années et c’est pourtant ce qu’on attend d’un leader », ajoute Yves Marin. Quand les performances ne sont pas au rendez-vous, « il faut pouvoir bénéficier de la confiance du conseil d’administration et d’un lien privilégié avec chaque administrateur, lien qui à l’évidence était rompu », appuie Éric Toulemonde.

Selon certaines sources, Emmanuel Faber se serait senti « au-dessus » des institutions, faisant naître de nombreuses critiques. Ce qui aurait conduit aux départs de pointures comme Francisco Camacho, responsable de la division des produits laitiers et végétaux, en septembre, et Cécile Cabanis, directrice financière, en octobre. Plus largement, l’entreprise connaît une fuite de ses collaborateurs. « Danone est une formidable structure mais les équipes la quittent pour aller ailleurs. Ils doivent de ne plus être à l’aise avec le modèle », confie un industriel du monde laitier. Autant d’erreurs qui ont donc poussé celui qui a fait de Danone la première entreprise à mission du CAC 40 à se retirer.

Face à ce chamboulement, quel avenir pour Danone ? « On souhaite bonne chance au nouveau board qui va devoir gérer la stratégie du végétal, mener des actions fortes sur l’innovation, trouver des relais de croissance sur de nouveaux marchés, tout en conservant sa politique RSE, qui a toute sa place », détaille Yves Marin.

L’heure des optimisations

En effet, un travail sur le portefeuille pourrait être à prévoir car les synergies entre les différentes activités de Danone (eaux, produits laitiers et végétaux, nutrition infantile et médicale) ne seraient pas optimisées. De même, la stratégie autour de marques globales mérite d’être ajustée au profit de griffes locales. Dans ce cadre, le programme Local First pourrait s’avérer judicieux s’il n’y a pas de pertes d’énergie inutiles. Des optimisations pourraient également être organisées dans les différentes activités. À commencer par les eaux. Bien que le groupe soit très attaché à ce secteur, il ne va plus aussi bien qu’en 2014 en raison, notamment, de la pandémie et de la fermeture mondiale des circuits de RHF. Pour ce pôle, certains imagineraient bien une scission ou une diversification du portefeuille.

Concernant les produits laitiers, « il faut probablement repenser les missions et les promesses de Danone. On parle de santé ou de plaisir ? », interroge Éric Toulemonde. Enfin, il serait nécessaire d’accélérer le développement du végétal et de ne plus uniquement se concentrer sur le soja. Une extension de ce marché à d’autres activités du groupe, comme la nutrition infantile, pourrait apporter un relais de croissance et permettrait à Danone de combler son retard. « C’est à Danone de prendre la main sur ce segment », affirme Philippe Guezenec, managing partner chez Clearwater. Il apparaît évident que le groupe doit revoir son organisation pour accroître sa productivité et son agilité afin de faire face aux petites entités qui ne cessent de grignoter des parts de marché. « Danone jouit de marques puissantes et d’une somme de talents humains. Elle a tout entre les mains. Il lui suffit de libérer les bonnes énergies et d’aller dans la bonne direction », assure Yves Marin.

Si l’ère Faber n’a pas convaincu, avec des résultats qui n’étaient pas à la hauteur des attentes, une part de son héritage demeurera. « Il restera celui qui a essayé. Il a ouvert une voie pour une alimentation responsable pour le plus grand nombre », conclut Xavier Terlet.

 

Source : LSA (https://www.lsa-conso.fr/quels-chantiers-de-relance-pour-danone-apres-le-depart-d-emmanuel-faber,376538)